C'est étrange. Mais je crois que je cours. C'est étrange, car je ressens tout ; les cheveux volants derrière moi, le vent qui s'engouffre dans les vêtements, les jambes qui s'activent, qui s'allongent, se plient, à un rythme effréné. Je sens le frottement du pantalon sur mes genoux, le froid qui s'immisce dans chacun de mes pores, les oreilles qui sifflent, le bruit d'un lointain cri. J'entends même le craquement du bois sous mes semelles, mon souffle court, le filet de fumée qui s'en échappe, le tiraillement dans mes bras, la douleur sous ma poitrine. Je crois que j'ai mal, je crois même que j'en pleure de rage. Mais je sens un mélange d'adrénaline, diluée dans un fond de peur. Une peur frustrée de ne pas être dominatrice, une peur détrônée par un sourire étrange. Je crois que je souris. Je sens l'étirement de mes lèvres ; un sourire presque hystérique, un sourire qui m'aurait fait frémir. Je crois que je tremble, je sens ma main gauche secouée de spasmes, agrippée à ma baguette magique. C'est étrange. Parce que je croyais être droitière. Et puis brutalement, douloureusement, ma colonne se cambre, mes muscles se tendent, puis je m'écroule à genoux. J'ai mal, je le sens. Mais je continue à sourire. Je murmure quelque chose, et je commence à m'agiter. Non, en fait, je ris. Je ris, comme si la personne en face de moi était la chose la plus drôle au monde. Mes yeux sur lui. Sur lui. Je sens que c'est un homme. Il est blessé ; j'entends sa respiration qui se fait douloureuse, sa démarche hésitante et à sa chute qui suit. Nous sommes à terre, baguettes en main. Je rencontre le regard le plus étonnant qui soit, mais je ne faiblis pas mes éclats de joie. Je sens que je suis foutue, et je sens qu'il l'est tout autant. Mon rire s'interrompt subitement, et dans un dernier effort, je crois que je dis quelque chose. Puis je pense à faire quelque chose d'impardonnable.

Et plus rien. Comme si chacun de mes membres se retrouvaient aspirer dans le néant.

Il fut un temps où je dormais tranquillement. Je n'ai jamais pris mes rêves très sérieusement après tout. En fait, je crois que je ne rêve pratiquement jamais. Je n'ai pas assez de mémoire certainement. J'ai toujours eu tendance à retenir les plus insignifiants songes ; ceux qui parlent de dinosaures unijambistes, de grotesques marionnettes affublées de chapeaux étranges, de magies légères et de peuple en liesse. Je rêve de gens heureux, d'animaux fantasques et de course à balais. Insouciante enfant. Alors mes rêves s'attelaient à me bercer d'illusions. Et puis, elle en a décidé autrement je pense. Elle vient, au rythme de vagues puissantes et dévastatrices, accompagnée d'images faites de vert et de noir. Un monde parallèle où elle prend le pas sur moi, sur mon insouciance.
Je n'ai jamais pris mes rêves très sérieusement. A part peut-être celui-ci.