Mon cher Journal.
Aujourd'hui est un grand jour. J'ai compris. De mauvaise grâce, peut-être, mais j'ai compris. Je l'aime, je crois. C'est débile. Très débile, même. Mais elle est si belle, si aimable.. Chaque jour, je me perds un peu plus dans ses yeux bleus, je passe plus de temps à emmêler ses cheveux, à caresser ses joues.. Chaque jour, j'entreprends de lui faire comprendre, chaque jour, j'abandonne avant même le petit-déjeuner. C'est impossible. Que dirait mon père ? Elle n'est pas pour moi. J'ignore jusqu'à son sang, jusqu'à sa famille. Mais je m'en fiche. Je l'aime de cet amour écœurant qui donne à la vie sa saveur sucrée. Je l'aime. Je me sens vraiment stupide, à expliquer en long en large et en travers à un journal que j'aime une fille qui doit sûrement me prendre pour ce bellâtre idiot et pervers que je suis. Kazran se réveille. Je devrais arrêter, abandonner, l'oublier. Mais elle est là, dans chacune de mes pensées, dans chacun de mes songes. Que faire, Journal ? que faire...

Il s'est relevé d'un coup, s'appuyant sur ses coudes. Il a inspiré une longue et puissant gorgée d'air, ignorant le drap moite qui collait à son torse nu. Affolé, un laissa son regard s'évader sur les murs de sa chambre, recouvert de ce nouveau papier peint affreux. Sa mère l'avait choisi. Et pour faire clair, sa mère avait des goûts de merde. Il s'est arcbouté et a fini en position assise, en tailleur sur son lit. Il regardait devant lui, alors que des perles de sueur lui dévalaient le dos. D'autres perles, plus amères, plus salées, s'écoulaient en cadence de ses yeux. Même s'il ne sanglotait pas, oui, Gavin Téonard Rosier pleurait. Chose plutôt incongrue, rare, carrément impossible, même. Il sentait les larmes traîtresses, fourbes et inutiles glisser sur ses joues avant d'aller s'écraser sur sa couverture qui lui semblait peser mille tonnes. Il n'arrivait même pas à les stopper. Il regardait devant lui avec cet air infiniment mélancolique. A chaque fois qu'il avait ce regard, cet expression, il prenait dix, vingts, trente, mille ans. Il se réveillait presque toutes les nuits ainsi, avec ce regard, cet air, cette sueur, ce rêve. Il le hantait. Il se voyait écrire ces lignes, il entendait son cœur battre pour sa Calhypso, il voyait ses mèches blondes et ses yeux bleus. Il voyait tout d'elle, il avait l'impression de la connaître mieux que personne. Pourtant, elle avait un homme, Septymus. Le Septymus. Son Septymus. Le beau et grand Septymus, qui passait son temps avec d'autres, quand il n'était pas occupé à rédiger de longues lettres douces à froisser plus tard, une fois sobre. Quand il ne passait pas son temps à la charmer, sa Calhypso, à lui murmurer mille mots, il passait son temps à écrire. Téonard en avait marre.

C'était tout récent. Quelques mois, à peine. Et maintenant, Septymus le hantait. Désormais, sa Calhypso le hantait. Il ne pensait qu'à eux. Il n'avait jamais rien trouvé sur eux dans les bouquins, les arbres généalogiques, les longues heures de recherche. Poudlard ne semblait pas s'être rappelé de ce couple. Il ne savait pas comment cela avait commencé. Il y avait eu un regard, sans aucun doute, mais trop vite oublié, le visage trop vite effacé. Téonard en crevait. Il voulait savoir. Ce besoin lui étreignait le cœur, comme s'il passait à côté de quelque chose d'important. Mais malgré tout les Rapeltout, toutes les heures de méditation, il n'avait trouvé aucune bonne réponse. Il avait même lu ce parchemin sur les âmes-sœurs. Un gros tissu de conneries. Mais ça semblait si possible, finalement. Il s'était mis à douter. Il s'était mis à se demander si quelqu'un, quelque part, ne lui était pas destiné. Si il avait marché à côté, si il lui avait brisé le cœur, si il l'avait ignoré, snobé, amusé, méprisé. Ce quelqu'un le tourmentait et il lui était impossible de mettre un nom. Enfin si. Mais non. Il pouvait juste y mettre des yeux. Des yeux comme on en voit une fois. Bleus. Pas n'importe quel bleu. Le bleu de Calhypso. Le bleu-vert. Oh, non, pas dans le sens : pers. Non. Le bleu où le vert se mêle, s'ajoute, jouxte, papillonne, éclaircit un regard déjà lumineux. Le genre de regard qu'on oublie pas. Tellement on l'oublie pas, Téonard en avait oublié le reste. La seule manière de s'en souvenir : la blonde de ses rêves, de ses flashs, de ses pensées déliées. Stop, stop, stop, Téo, s'intima-t-il, va pas perdre la boule pour une femme morte depuis des siècles ! Promis, se jura-t-il, promis.

Il a lentement décollé de son lit, se passant une main nerveuse dans les cheveux avant de s'étirer comme un gros félin. Un gros félin. Oui, c'était ce qu'il était devenu. Son père, cet homme froid et vindicatif, qui se montrait parfois violent, détestait cette partie de sa personnalité. Lui, il voulait qu'il soit la plus vile des vipères, le plus ambitieux des serpents. Mais non. Personne ne savait trop ce que le Choixpeau avait lu en Téonard; en tout cas, il avait fini chez les 'bouffons d'or', comme disait son paternel et sans doute de nombreuses personnes avant lui. Sa mère, bien que née-moldue, avait elle aussi montré et prouvé sa déception. Pour elle, bien n'était pas parfait. Elle aurait préféré avoir un aigle malin et rusé, plutôt qu'un garçon silencieux et futé. Elle aurait préféré un piaf un tant soit peu intelligent plutôt qu'un lionceau inconscient et puéril. Bref. En gros, Téo n'avait pas hâte de descendre petit-déjeuner avec son frère (qui était bien évidemment serpentard), sa soeur (qui était elle serdaigle) et ses parents (qui adulaient sa fratrie, par le plus pur des hasards). Et puis, le chien familial, un beagle, était insupportable avec lui et lui mordait les mollets pour le saluer. Rien de bien folichon. Il se leva, roula des mécaniques pour détendre ses muscles et traversa sa chambre pour aller se rincer le visage. Il s'appuya sur l'évier en regardant son reflet, après avoir vêtu un t-shirt et un pantalon. Il chercha avec minutie une ressemblance quelconque avec sa vie antérieure. A part peut-être ses yeux.. et encore. Il fallait avouer que, toutes existences comprises, sa beauté allait en régressant - du moins d'après lui. Il reprendrait sa cinquième année dans trois jours et il avait hâte. Voire un peu plus. Il ne supportait plus ses parents et, quand il descendit se sustenter, il ne resta que cinq minutes. Le temps d'emmener la tasse de café avec lui et il était dans sa chambre. Il rouvrit son bouquin.

Oubliant jusqu'à sa boisson, il se concentra dans le décryptage d'arbre généalogique. De petites photos étaient dispersées ça et là, le regardant avec un air sévère ou murmurant des " mais qui c'est, lui ? " peu amènes. Téonard s'en fichait. Du doigt, il descendait les branches, rejoignaient d'autres, ignoraient certaines. Il était persuadé que, dans sa vie antérieure et contrairement à celle-ci, il avait été pur. Pourquoi cette fierté, pourquoi ces regards sinon ? Il abandonna. Téonard n'abandonnait pas facilement, pourtant. Mais il était las d'essayer de comprendre un inconnu qui n'avait, décidément, rien à voir avec lui. Secrètement, il se demandait si quelqu'un se souviendrait de lui de cette manière. Si ce quelqu'un verrait sa solitude, ce masque d'indifférence masquant des sentiments parfois trop forts, parfois trop dominants. Il songeait qu'un inconnu se réveillerait en sueur et en pleine nuit au son de ses battements de cœur, au son de moments excitants de sa vie. Il se voyait bien tracé, cherché dans les arbres généalogiques inexistants des Rosier, il s'imaginait aussi comme paraissant froid à cet inconnu du futur, sa prochaine vie ou plus vraisemblablement celle d'après. Et le changement, dès ce regard croisé, l'envie de comprendre, de se rapprocher, d'imaginer, de vivre une belle histoire. Les sentiments qui refont surface, pour cette paire d'yeux. L'impression que l'on est pas seul dans sa tête, ni dans son cœur d'ailleurs, que quelqu'un, quelque part, veut continuer sa passion trop vite arrêtée.. Le Téonard d'avant aurait dit qu'il s'en fichait, qu'il n'obéissait à personne et sûrement pas à un esprit d'un autre temps; mais là, il fallait avouer que cette perspective l'attirait. Mais des fois, une autre partie de son esprit prenait le dessus : à quoi bon revivre le passé quand on a le futur devant nous ?